Cet article a été publié pour la première fois au sein de la tribune Fonda en 2020 par Paul Bucau, Chargé de Développement territorial au RNMA.
Entre 2017 et 2018, un vaste programme de travail sur la co-construction entre associations et collectivités a été mené conjointement par différents organismes, parmi lesquels le Réseau national des Maisons des associations (RNMA). Le présent article revient sur certaines conclusions du rapport qui en a été fait. Il comprenait notamment une recherche action intitulée « co-construction de l’action publique »
1, réalisée en partenariat avec le Mouvement associatif (LMA), le Collectif des associations citoyennes (CAC), le Réseau des collectivités territoriales pour une économie sociale (RTES) et l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles (UFISC), et pilotée par Laurent Fraisse, socio-économiste du Laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique rattaché au Cnam. Nous nous appuierons
sur le rapport de l’étude précitée afin d’éclairer le sujet d’apports conceptuels, que nous nous efforcerons d’illustrer de cas pratiques observés auprès de membres du RNMA.
Co-construction : de quoi parlons-nous ?
Il s’agit ici de penser la relation association/collectivité non pas dans une cadre bilatéral entre deux organisations mais bien dans un dialogue territorial structuré. Laurent Fraisse propose une définition de la co-construction comme « un processus institué de participation ouverte et organisée d’une pluralité d’acteurs à l’élaboration, à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation de l’action publique. […] S’inscrivant dans la sociologie politique ou l’analyse des politiques publiques, la co-construction appartient au registre de la participation politique et relève des démarches de démocratie participative ».
Il nous éclaire également sur les enjeux et objectifs sous-jacents : « L’objectif principal de la co-construction est l’élaboration et le suivi d’une politique publique locale. […] La co-construction a une dimension cognitive (Muller, 2000), au sens où il s’agit d’agir sur les représentations dominantes qui peuvent exclure des politiques publiques certains problèmes, thématiques ou acteurs. […] La co-construction induit non seulement une politique de la reconnaissance d’acteurs ou de pratiques mais aussi l’énoncé d’autres visions d’un secteur ou d’un territoire. » L’idée est donc d’agir plus globalement sur le contexte, en amont des relations bilatérales entre acteurs, afin de construire des représentations partagées et des visions renouvelées. Celles-ci permettront ensuite aux associations et collectivités de coopérer en s’appuyant sur cette base commune.
L’exemple du Mouvement associatif rennais
Intéressons-nous au travail mené à Rennes courant 2018 autour de l’élaboration de critères pour l’attribution des subventions. Ils sont utiles pour objectiver les choix de subventionner les associations locales et se protéger de certaines pratiques qui en favorisaient ou en pénalisaient en fonction de la subjectivité d’élus locaux. Sous l’impulsion du Mouvement associatif rennais (MAR), association locale rassemblant plusieurs associations dans le but de dialoguer avec les pouvoirs publics, la méthode de travail proposée à la ville partait du postulat que de tels critères trouveraient leur légitimité auprès des acteurs associatifs dans le cas où ceux-ci auraient contribué à leur élaboration et en auraient suivi la future application dans les commissions municipales.
Élaboration et suivi : deux enjeux clés mis en lumière par Laurent Fraisse que le MAR a intuitivement identifié. Ainsi, des temps de travail regroupant chaque fois une centaine de bénévoles associatifs et des élus et techniciens municipaux, animés par une consultante experte de l’utilité sociale, ont permis d’abord de définir les contours de la notion, de travailler son appropriation lors d’ateliers, puis d’élaborer de possibles critères d’appréciation de l’utilité sociale et les questions permettant de les révéler. Depuis janvier 2019, des commissions mixtes ville/MAR analysent en amont des conseils municipaux les demandes de subventions en s’appuyant sur les éléments que les associations demandeuses fournissent. Cette présence associative protège, du point de vue du MAR, d’interprétations qui s’éloigneraient des définitions collectivement abouties.
Dans cette expérience rennaise, les discussions ont permis de nommer des enjeux sociétaux tels que la parité homme-femme, le renouvellement des gouvernances, la place des jeunes, les plus-values environnementales ou sociales des activités associatives. Ce que produit le débat relève de la dimension cognitive soulignée par Laurent Fraisse. D’habituels angles morts dans la reconnaissance des associations ont été regardés ; la vision collective des apports de la vie associative au territoire s’en retrouve enrichie.
Les tiers facilitateurs de la co-construction
À Rennes, la co-construction s’est appuyée sur une démarche pensée spécifiquement. On peut alors se poser la question des autres tiers facilitateurs (instances, événements…) permettant cette rencontre, et sur lesquels Laurent Fraisse apporte des éléments d’analyses : « La co-construction peut avoir des enjeux ou objectifs secondaires ou dérivés du processus d’élaboration d’une politique publique. La connaissance et l’interconnaissance des acteurs, la structuration d’un milieu professionnel, la constitution de collectifs, le renforcement et l’élargissement de la représentativité ou des missions de têtes de réseau, etc. sont fréquemment cités. […] La co-construction d’une instance de dialogue (conseil de l’ESS, conseil de la vie associative, conseils citoyens, etc.), de rencontres territoriales ou d’une charte d’engagement réciproque peut être un objet intermédiaire nécessaire pour créer la confiance et l’interconnaissance entre les parties prenantes et générer une dynamique collective. »
Lors d’une interview en septembre 2018, Alexandre Bailly, alors directeur de la Maison des associations de Montreuil, nous partageait son expérience venant illustrer la vie d’une instance de dialogue : « À ce jour, quarante-et-un membres constituent
le conseil local de la vie associative, parmi lesquels trente-quatre associations élues en « AG des assos » par leur pairs pour trois ans, cinq élus et deux agents municipaux. Le fonctionnement antérieur en réunions mensuelles a conduit à constater progressivement qu’un tel rythme conduisait à un ordre du jour dicté par la municipalité. Nous avons glissé vers un fonctionnement plus souple, incarné par trois ou quatre plénières par an, entrecoupées par des groupes de travail ou commissions thématiques qui rendent compte en plénière. » L’exemple de Montreuil éclaire la réalité des mécanismes et le besoin d’adapter les méthodes ou d’en corriger des défauts chemin faisant.
Laurent Fraisse nous alerte également sur des pièges à éviter quant au processus : « Si ces objectifs intermédiaires peuvent constituer une étape utile qui mobilise l’essentiel du temps et des ressources des parties prenantes, ils peuvent s’avérer contre-productifs s’ils deviennent une fin en soi […]. L’existence d’une pluralité d’objectifs de la co-construction peut également prêter à des malentendus entre parties prenantes et confirme la nécessité d’attendus clairs et d’un calendrier précis tant du côté des pouvoirs publics que des diverses parties prenantes entre elles. »
La parole de terrain d’Alexandre Bailly vient en écho à ces propos lorsqu’il dit : « Nous pouvons partager quelques leviers pour la mise en place d’un dialogue ville/association : une impulsion politique claire, une méthodologie partagée avec les acteurs et des rôles connus de tous, quelques individualités motrices pour impulser l'énergie, et un point fondamental : des temps conviviaux et informels pour créer la cohésion de groupe, une bienveillance mutuelle et se prévaloir ainsi des jeux d'acteurs. » Afin de révéler avec les acteurs les diverses dimensions de leurs propres actions en co-construction (méthodologique, implicite, contextuel), le RNMA est en phase de développement d’un
serious game2 dédié.