L’observatoire local de la vie associative est un outil déterminant pour la mise en œuvre d’une gouvernance territoriale partagée. En permettant un croisement des analyses entre les différents acteurs locaux, il encourage la construction d’une vision collective indispensable pour susciter la capacité à construire des actions territoriales communes.
Cet article est une contribution à la version numérique enrichie de la Tribune Fonda n°245. Il ne figure pas dans la revue papier.
Sylvain Rigaud a co-écrit cet article avec Philippe Eynaud, professeur en sciences de gestion à l’IAE de Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Maxime Godefroy, délégué à l’action publique au Mouvement associatif Hauts-de-France, et Thomas Lauwers, chargé de mission à la Maison des associations de Roubaix. Nous les remercions.
La place de l’observation locale dans la gouvernance territoriale
La gouvernance territoriale est un mode de régulation dépendant du choix d'un périmètre d'action et d'un collège d'acteurs à mobiliser. Comme tout mode de régulation, il suppose un état des lieux et des indicateurs de pilotage. À ce titre, il place les dispositifs d'observation locale au cœur de sa démarche. Ces derniers sont en effet à même d'initier, de faire vivre et de faire évoluer les conditions de la gouvernance territoriale. L'observation locale ne donne pas seulement une représentation de la réalité. Elle fournit aussi une capacité d'action et de prise sur celle-ci. Il s’agit souvent « d’observer pour agir » dans le sens où l’apport de connaissances doit permettre la création d’une vision partagée du territoire et du secteur d’intervention par les différents acteurs parties-prenantes des politiques publiques locales afférentes.
Cependant, les attendus exprimés ne sont pas toujours au rendez-vous des résultats observés. Ainsi, les dispositifs instrumentés agissent comme des technologies invisibles n’échappant pas aux rapports de pouvoir. Comme Foucault nous l’a montré, il est indispensable d’avoir des analyses critiques autour de ces technologies de pouvoir et d’explorer les pratiques de résistance issues de la société civile. La question est d’autant plus importante que la puissance publique n’a désormais plus le monopole de l’instrumentation de l’action publique. Elle se retrouve confrontée à des propositions alternatives de plus en plus outillées. La rencontre entre ces différentes offres techniques commence à dessiner les contours d’une autre gouvernance territoriale.
L’objet de ce texte est de décrire et analyser la méthodologie d’observatoire local de la vie associative (OLVA) mise en place par le Réseau national des maisons des associations (RNMA) en 2007. Les relations entre associations et collectivités sont en effet un élément déterminant du dynamisme d’un territoire et la capacité des acteurs locaux à coopérer constitue un enjeu fort de la gouvernance territoriale. De la simple information à une véritable co-construction de la politique publique locale, le spectre des rapports, souvent fruit de l’histoire et du contexte local, est large. Pour nourrir un dialogue constructif entre ces deux types d’acteurs, une connaissance fine des réalités et le partage d’une vision commune des enjeux et des difficultés sont des préalables.
L’histoire du projet d’observation locale partagée du RNMA
En 2007, le RNMA a fait le constat du caractère très disparate des données relatives aux associations au niveau local. Pour permettre aux acteurs locaux de disposer de connaissances précises et actualisées, il a donc développé en collaboration avec Viviane Tchernonog, chercheuse au CNRS, la méthodologie OLVA. Celle-ci s’appuie sur une enquête de proximité auprès des associations d’un territoire et permet aux acteurs locaux de mieux connaître le tissu associatif local, de repérer ses caractéristiques et de mesurer ses évolutions. Le réseau a accompagné la création de plusieurs observatoires locaux en France, comme en Hauts-de-France où l’Observatoire régional de la vie associative (ORVA) étudie les évolutions du tissu associatif.
En 2010, quatre maisons des associations (Lille, Roubaix, Tourcoing et la MRES) décident de créer l’ORVA à l’échelle de la métropole européenne de Lille (MEL), celle-ci étant adaptée aux capacités de coopérations des acteurs locaux et aux réalités vécues par le monde associatif. Dans le cadre d’une contractualisation multipartite (État/Région/MEL) de trois ans, l’observatoire a pu structurer son projet et aboutir ses premières productions à l’échelle métropolitaine.
Dès 2014, l’aire d’intervention de l’ORVA s’élargit aux contours de la future région Hauts de-France, correspondant ainsi à l’échelle d’action de ses principaux partenaires financiers. L’élargissement à la région a également permis une évolution de la gouvernance de l’observatoire pour inclure le réseau des Points d’information à la vie associative (PIVA), ainsi que les coordinations du Mouvement associatif. L’ORVA a su très rapidement associer des acteurs divers autour d’une ambition commune d’amélioration de la connaissance et de la reconnaissance du fait associatif sur le territoire.
On constate donc que la structuration d’un tel outil d’observation locale est fortement dépendante des configurations d’acteurs, de choix institutionnels et de positionnements stratégiques au niveau de la dynamique territoriale en place. Le rapide historique démontre les aléas issus d’un système de gouvernance territoriale fortement mouvant.
Les apports de l’observation locale partagée pour une autre gouvernance territoriale
Le premier apport du projet d’observation locale partagée réside dans l’affirmation du besoin de s’inscrire dans un temps long, seul à même de permettre l’acclimatation et l’interconnaissance entre les parties prenantes. Cette perspective de long terme a aussi permis de guider l’équilibre des pouvoirs. Statutairement, il a été décidé d’octroyer un nombre de sièges à part égale entre des structures territoriales (maisons des associations, point d’appui) et des structures fédérées (coordinations du Mouvement associatif). Cet équilibre garantit des prises de décisions pouvant inclure les différentes logiques : locales, sectorielles, transversales et régionales. Doté d’un programme de travail délimité par ses membres, l’ORVA a préservé son indépendance sans empêcher l’existence d’un dialogue rapproché avec les partenaires publics. Cela se concrétise notamment à travers le comité de pilotage semestriel qui permet de croiser les avis et de rendre compte de l’état d’avancement des travaux. Par ailleurs, l’ORVA a pris part à des démarches co-construites de transformation et de modernisation de l’action publique impulsées par l’État, à l’image du SIILAB.
Le deuxième apport de l’observation locale partagée est d’opérer un pas de côté en acceptant d’aller au-delà du but premier de production de connaissances pour s’orienter résolument vers l’action, et en permettant que les résultats de l’enquête fassent l’objet d’une interprétation collective an de mieux comprendre les enjeux et besoins exprimés. L’échange entre les acteurs concernés (associatifs, techniciens ou élus de collectivités, universitaires, etc.) permet ainsi de construire une interprétation collective et de partager une vision commune. Ce sont des préalables indispensables à la co-construction de réponses adaptées face aux enjeux repérés. L’observation est donc l’occasion d’impliquer une diversité d’acteurs concernés pour faire émerger des solutions collectives et d’articuler les ressources du territoire. En cela, l’observatoire, dans ses dynamiques multi-acteurs, est un outil de la gouvernance territoriale.
Le troisième apport significatif est de mettre en lumière le besoin d’un dispositif habilitant le croisement des regards. En cela, la complémentarité d’acteurs territoriaux et sectoriels prend tout son sens. Elle permet en effet le croisement des regards et des réalités associatives, sur les enjeux pour lesquels l’observation peut être un outil à mobiliser. Le fruit de cette analyse des enjeux est alors mis en discussion avec les partenaires de l’observatoire : services déconcentrés de l’Etat, Conseil régional et collectivités comme la MEL. Ainsi, dès les prémisses des travaux d’observation, le programme de travail est co-construit entre associations et pouvoirs publics pour répondre au mieux aux enjeux des associations du territoire. Chaque partie prenante apportant son regard, ses priorités.
Au final, de l’association locale aux pouvoirs publics, tous les points de vue sont considérés dans la construction des travaux d’observation. Cette implication du plus grand nombre permet alors une grande implication dans la réalisation même des travaux observations. Les produits de l’observation sont in ne directement appropriables par les associations dans leur dialogue avec les pouvoirs publics. Le panorama de la vie associative en Hauts-de-France est largement utilisé par les réseaux territoriaux dans leur dialogue avec les collectivités puisse qu’il permet de discuter à partir de bases objectivées de la réalité associative du territoire. Les baromètres « santé financière des associations » nourrissent régulièrement l’état des lieux de la vie associative régionale mis en discussion avec les pouvoirs publics lors de la démarche du 1er juillet organisé par le Mouvement associatif Hauts-de-France chaque année.
En conclusion, on s’aperçoit que l’observation locale partagée n’est pas une fin en soi, mais le début d’un long processus vertueux. Fruit d’une gouvernance multi-acteurs, la démarche OLVA a pu faire les preuves de sa capacité de mobiliser les acteurs du territoire et à susciter des réponses variées et croisées pour servir le projet collectif. En cela, elle encourage des actions co-construites dans et pour le territoire, offre les éléments de base pour une gouvernance inclusive construite autour des communs, et ouvre des perspectives pour les territoires voulant s’engager sur le chemin de la transition. Au final, l’observation locale partagée augure le territoire solidaire dont nous avons urgemment besoin.