La participation des habitants, une longue histoire à Boulogne-sur-Mer
Historiquement, le CRAB-DSU a toujours œuvré pour la participation des habitants. Tout au long des différentes réformes de la Politique de la Ville, des fonds de participation, des dispositifs pour favoriser la participation ont toujours existaient. Comme l’explique Nicolas Langlais, directeur du CRAB-DSU « il y a toujours eu des dispositifs de construction d’événements, de recherches de solutions pour les quartiers. Sur les quartiers de Damrémont et du chemin vert, quartiers historiques dans la politique de la ville, on a toujours travaillé avec les habitants dans cette recherche de co-construction, comme acteurs, je dirais même comme metteurs en scène de leur quartier. Ils ne réagissaient pas qu’aux ordres d’un metteur en scène, parfois c’était peut-être moi l’acteur et l’habitant le metteur en scène ». Cette histoire, qui a toujours encouragé la parole des habitants, a largement facilité la mise en place des Conseil citoyens. De même, les habitudes de travail qui pré-existaient entre les acteurs associatifs et la municipalité ont contribué à adapter les dispositifs localement.
A l’inverse sur les deux « nouveaux » quartiers, arrivés en Politique de la Ville depuis la réforme, un dans le sud de Boulogne-sur-Mer à Montplaisir et un centre-ville, tout était à construire. L’absence de lieu physique, identifié par les habitants, n’a pas aidé pour développer la relation avec les habitants comme l’explique Nicolas Langlais : « la participation, ça a été beaucoup plus dure, pour aller les [ndr, les habitants] chercher il a fallu faire du porte-à-porte, aller expliquer ce que c’était, pourquoi c’était mis en place, et surtout après, mettre une structure repère, un point visible où les gens pouvaient se raccrocher quand on parlait du DSU. (…) Donc, on a installé le C’napse, un tiers lieu, à partir duquel on a pu rayonner pour fédérer des habitants ».
Le CRAB-DSU appuie ponctuellement les Conseil citoyens de Marquise et d’Etaples. Mais, là encore, ce n’est l’aire habituelle d’intervention de la structure, particulièrement pour Etaples. Il a donc fallu trouver la bonne manière de s’inscrire dans le paysage « quand on vient sur des terrains qu’on ne connait pas vraiment, notre point d’entrée c’est autour d’émissions de radio et à partir de là, tu déroules quelque chose ».
La mise en place des Conseil citoyens
La désignation des conseillers citoyens ne s’est pas fait par tirage au sort qui posait des problèmes de représentativité ou de droit (autorisation CNIL). Le CRAB-DSU a donc été directement à la rencontre des habitants par du porte-à-porte pour présenter ce qu’étaient les Conseil citoyens. Ce fonctionnement très chronophage s’est appuyé sur l’équipe de la Maison du projet (outil mis en place dans le cadre de la rénovation urbaine), une équipe d’habitants bénévoles, etc. Puis, une fois la dynamique lancée, le CRAB-DSU a cherché à consolider la relation avec les habitants : « La recherche d’adhésion s’est faite à partir de café débat. On n’a jamais instauré de réunions citoyennes. C’est des repas partagés et autour, on instaure la discussion, l’échange, la participation des habitants, des prises de décision… On invite aussi des élus s’il le faut » explique Nicolas Langlais.
Au départ, le conseil était composé d’une majorité de femmes mais l’égalité s’est progressivement rétablie avec les entrées de nouveaux citoyens. Aujourd’hui, il se compose d’une majorité de personnes qui travaillent, pas forcément de manière continue, mais qui ont au moins une activité rémunérée pendant l’année. Et ce ne sont pas forcément les figures les plus connues du quartier qui ont intégré le conseil, beaucoup d’habitants se sont révélés au travers du dispositif. Nicolas Langlais regrette néanmoins la faible part de jeunes, le conseil compte seulement deux jeunes entre 16 et 18 ans.
Le CRAB-DSU a choisi de ne pas limiter le nombre de conseillers citoyens pour permettre les entrées et sorties d’habitants nouveaux. Ce fonctionnement particulier a été négocié avec les services de l’Etat. S’il existe bien un arrêté avec la liste d’un certain nombre de conseillers citoyens, lors des comités de pilotage du Contrat de Ville, les conseillers présents ne sont nécessairement ceux inscrits sur la liste. Cette souplesse permet de prendre en compte la diversité des voix du quartier et ne limite pas la participation qu’aux personnes en capacité de se mobiliser régulièrement pour le Conseil citoyen.
En revanche, l’obligation de constituer le Conseil citoyen en association ne passe pas pour Nicolas Langlais : « Pourquoi se constituer en association alors que ça fonctionne sur des collectifs informels qui se rencontrent, qui débattent d’idées et qui avancent vraiment. (…) Un collectif qui se constitue en Conseil citoyen de façon informel, pourquoi n’aurait-il pas le même poids de décision, de regard… Pourquoi toujours formaliser dans des cases ? » Ce parti pris tranché n’est pas qu’un refus du formalisme, il s’appuie sur des constats issus de l’expérience de la structure comme le dit Nicolas Langlais : « On a essayé de dire ‘on se réunit tel jour, telle heure’, mais il n’y a personne qui vient. Tu fais un apéro-débat, là, les gens viennent et ça discute, ça échange. (…) L’idée c’est de savoir comment on y est arrivé, c’est la façon d’y arriver qui compte. Ça ne fonctionne pas en associatif, il faut arrêter parce qu’on n’arrivera pas à obtenir les résultats. Par contre, si on fonctionne autrement, on y arrivera. » Et cette structuration informel limite le risque d’instrumentalisation du Conseil citoyen dans la mesure où sa constitution peut évoluer au fil du temps.
Un fonctionnement informel
Le CRAB-DSU prône la simplicité dans le rapport aux habitants, évitant un formalisme qui pourrait éloigner les habitants. Ils ont ainsi instauré un système de maraude pour aller à la rencontre du quartier comme en témoigne Nicolas Langlais « on se déplace avec du café. Quand il fait beau, tu rencontres des mamans avec leurs enfants. On s’installe avec du café, on dit qu’on est le Conseil citoyen et ça discute ! Puis on se déplace plus, un groupe de jeunes qui jouent au ballon, on discute… Et on continue, ça se passe comme ça ! ». Parfois, le CRAB-DSU organise des déjeuners sous forme d’auberge espagnole dans l’espace public, devant le C’napse. Et cela suffit à échanger avec les habitants de passage et recueillir leur parole.
Nicolas Langlais défend un dispositif souple qui s’adapte aux besoins du territoire, à même d’être à son écoute. « C’est une volonté de travailler comme ça. Et peut-être aussi parce qu’il y a une volonté politique de Mme Hingrez, l’élue à la politique de la Ville, de travailler de façon moins conventionnelle si ca répond aux besoins du territoire ». S’adapter à son territoire est une des clefs comme le rappelle Nicolas Langlais « il s’agit de se plonger dans son territoire, d’être et de faire avec les habitants. Il faut participer avec eux, mêmes sur des choses anodines, il faut faire partie du décor ». Il cite volontiers l’ouvrage de Jacques Ion, le travail social à l’épreuve du territoire et rappelle que pour coller au territoire, il faut savoir s’éloigner des circulaires. L’important réside dans la méthode employée et en la matière, oser les chemins détournées pour vivre le territoire des habitants. Ce qui signifie aussi savoir leur faire confiance, ne pas les prendre et adapter sa posture et son accompagnement « ce n’est ni poussé, ni tiré. C’est être là ».
L’accompagnement sinusoïdal
Nicolas Langlais décrit l’accompagnement du Conseil citoyen comme une courbe sinusoïdale. Comme la courbe qui, régulièrement, croise l’axe des abscisses, les conseillers recontacte le CRAB-DSU pour bénéficier d’un appui. Mais entre ces temps d’accompagnement, ils sont autonomes et font avancer le projet. « C’est quoi l’autonomie, personne n’est 100% autonome ! Regarde même nous, on a besoin d’aller chercher de la ressource chez quelqu’un, dans le réseau par exemple » rappelle Nicolas Langlais. La montée en compétences des conseillers génère de nouveaux besoins et c’est à ces moments qu’il est important qu’ils puissent trouver un interlocuteur « on est là, venez nous voir quand vous voulez. C’est ça l’accompagnement ! Alors, ça ne va peut-être pas assez vite pour le temps du politique et autres. Mais, c’est à nous de nous adapter à leur temps et pas l’inverse ».
Travail en réseau sur le territoire
Le travail d’accompagnement des Conseil citoyens se fait en concertation avec les autres centres sociaux du territoire. Sur Boulogne, c’est le CRAB-DSU qui anime les Conseil citoyens mais sur l’agglomération, deux autres centres sociaux sont également mobilisés. L’ensemble des structures travaillent donc ensemble et échange sur leur fonctionnement respectifs. Par exemple, les formations sont gérées en commun pour l’ensemble des Conseil citoyens de l’intercommunalité. Elles concernent divers domaines comme les fondamentaux de la politique de la ville, la gestion de projet, la prise de parole en public, etc. Différents acteurs peuvent intervenir. En premier lieu, le CRAB-DSU bien entendu, mais également l’IREV, centre de ressources de la Politique de la Ville sur le territoire. En tout, c’est plus de trente heures qui ont été dispensées. Et la demande est là ! Certains conseillers citoyens demandent de l’approfondissement sur la gestion ou la gestion financière
Et le travail collectif s’étend même au-delà des frontières de l’agglomération. Des rencontres ont été organisées avec les Conseil citoyens de Marquise et les conseillers citoyens de Boulogne-sur-Mer, déjà formés, ont participé à la formation des conseillers citoyens de Marquise. Cette formation par les pairs est enrichissante pour tous, aussi participants que formateurs !
Des outils
A la question des outils d’accompagnement, Nicolas Langlais répond « il y a tout l’outillage humain, c’est là qu’il faut mettre la priorité. L’animateur pour les lancer… Après une fois qu’ils sont lancés, peut être quelqu’un pour les arrêter (rires). (…) C’est ce travail [lancer la dynamique du Conseil citoyen] qui est dur où il faut trouver de la ressource, mais ensuite, ils sont demandeurs d’outils de communication principalement. Et aussi d’un lieu, pas forcément un bureau à eux, mais un lieu où ils peuvent entrer sans demander l’autorisation à quelqu’un. A la maison des associations, ils ont les clefs, ils rentrent, ils se débrouillent sans que je sois obligé d’être là ». Le CRAB-DSU travaille aussi avec l’outil radio pour la communication et la diffusion en s’appuyant sur un partenariat de longue date avec une radio associative locale.
Comme sur d’autres territoires, les Conseil citoyens peuvent s’appuyer sur le fonds de participation des habitants pour développer leurs actions. Mais, Nicolas Langlais insiste sur une distinction claire entre les deux outils « On ne voulait de superposition entre FPH et Conseil citoyens. On aurait retrouvé les mêmes personnes partout et à un moment, on ne sait plus si on fait un Conseil citoyen, une réunion FPH ou de FTU. Par contre, il y a des participations croisés et des échanges. Mais ce n’est pas les mêmes comités, ça aurait été un cumul de mandats et parait que ce n’est pas bien ». Le CRAB-DSU assure la gestion administrative des fonds, avec un budget ouvert au regard de tous. Les dépenses sont validées en commun.
Les relations avec les institutions
Les techniciens ou les élus ne sont pas présents dans les Conseil citoyens. Nicolas Langlais le reconnait « le seul technicien qu’il y est, c’est moi ! Mais, hier, ils se sont réunis sans moi, je leur laisse les clefs. (…) Au premier comité des financeurs, ils étaient excellents, ils cassaient le coté technocrates ». La connaissance concrète du terrain et des acteurs agissant sur le territoire donne une légitimité aux conseillers citoyens. Nicolas Langlais explique « c’est cette spontanéité qu’il ne faut casser en voulant la mettre dans des carcans associatifs, des règles, des normes… On perd l’essence même du Conseil citoyen. Des techniciens, on en trouvera toujours pour s’opposer à l’Etat, mais ce que les conseillers citoyens ont faits, ça on ne sait pas le faire ! Sur certains trucs, ils sont plus pertinents que nous ». C’est aussi dans cette légitimité de l’expertise de terrain, qui déconstruit les dispositifs descendants, que les Conseil citoyens puisent leur force.
Les revendications évoluent « les premières revendications étaient très proches d’eux, quasiment ce qui se passe devant la porte de leur maison. Maintenant, ils ont pris de la hauteur, ils se placent à l’échelle du quartier » raconte Nicolas Langlais. Grâce ce travail au sein du Conseil citoyens, les conseillers développent de nouveaux rapports à l’institution. Ils se sentent plus facilement légitimes pour mobiliser les services des collectivités.
Un effet induit de l’accompagnement des conseillers se fait dans le rapport à l’information et à l’actualité. Nicolas Langlais note « c’est des gens qui s’intéressent de plus en plus à l’actualité. Ils nous ramènent régulièrement des coupures de presse qu’ils ont vues ou ils publient sur leur mur facebook des informations sur les territoires zéro chômeur. Choses qu’ils n’auraient jamais faites avant ». C’est aussi un sens critique qui se développe.
La rentrée citoyenne
Sur l’événement, les conseillers citoyens ont reçu énormément d’informations, notamment sur le forum où plusieurs institutions étaient représentées. Nicolas Langlais raconte « ils ont pris plein de docs et demandaient ‘mais c’est qui, c’est quoi ?’ C’était plein de services déconcentrés de l’Etat (…) et eux, ils voulaient aussi connaitre tout ça. Ce qui est intéressant parce que quand ils sont en réunion, c’est important de comprendre qui s’exprime, comment et pourquoi ? ». Cette compréhension des acteurs et des postures est fondamentale pour renforcer les conseillers dans leur capacité d’agir. Nicolas Langlais poursuit « à la Rentrée Citoyenne à Paris, il y a la moitié des mots et des institutions que les conseillers citoyens ne connaissent pas : qu’est-ce que la caisse des dépôts et consignations, quelles sont les compétences de la Région, ainsi de suite. Donc, dans le train de retour, on a écrit un projet ‘Si on se connaissait mieux’ pour qu’on puisse aller visiter ces institutions-là et connaitre leurs limites, leur champ d’intervention ». C’est cette forme d’éducation populaire, très concrète, que défend le CRAB-DSU.
La rencontre avec le ministre M. Kanner a également marqué les esprits. Même si les conseillers avaient déjà eu l’occasion de le rencontrer lors de déplacements à Boulogne-sur-Mer, le cadre parisien et le faste de la réception a impressionné. De même, la rencontre avec Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache, du collectif « Pas sans nous » a intéressé les conseillers.
Et la rencontre avec d’autres conseils issus d’autres territoires a été utile pour confronter les points de vue. Mais la discussion n’a pas été facile sous cette forme de table ronde. D’ailleurs, les conseillers citoyens se sont peu exprimés. Nicolas Langlais défend l’organisation de ce type d’événement à l’échelon départemental.