Sur le plateau des Millevaches, des médias locaux dénoncent une «chasse à l’ultragauche»

Publiée le 22 janvier 2024

Sur le plateau des Millevaches, des médias locaux dénoncent une «chasse à l’ultragauche»


Source : Libération - par Lisa Douard - publié le 17 janvier 2024 à 8h30


Plusieurs associations du Limousin rencontrent des difficultés pour obtenir les subventions d’Etat dont elles avaient l’habitude de bénéficier. Elles dénoncent une tentative de censure qui ne dit pas son nom.


Une année de répit. Après plusieurs jours à essayer de se faire entendre, trois médias citoyens et participatifs emblématiques du Limousin se sont vu attribuer la subvention annuelle de l’Etat, dont ils craignaient d’être privés. Leur survie était en jeu : Télé Millevaches, pionnière des télévisions associatives françaises basée dans la Creuse, les trimestriels IPNS, également implanté dans la Creuse, et la Trousse corrézienne, dans le département voisin, continueront donc de suivre l’actualité locale et d’en assurer le débat. Le 18 décembre, le Fonds de soutien aux médias d’information sociale de proximité (FSMISP) leur a notifié, par e-mail, que leurs dossiers de demande de subvention étaient acceptés. «Un coup de théâtre» pour les trois structures concernées qui, fin novembre, n’apparaissaient pourtant pas dans la liste des bénéficiaires 2023 du FSMISP. Ce dernier, doté d’une enveloppe annuelle de 1,8 million d’euros, vise notamment à soutenir les médias qui «contribuent à la vigueur du débat démocratique local». Plus de130 titres indépendants en ont bénéficié en 2022, dont IPNS avec environ 3 500 euros, la Trousse corrézienne avec 9 000 euros et Télé Millevaches avec 19 000 euros.


«Couper le sifflet de ceux qui ne vont pas dans le sens du gouvernement»


Les trois organes de presse cochent toutes les cases des critères d’éligibilité. Alors quand en novembre tombe la nouvelle du non-octroi de la subvention, la décision interroge. «Alors même que le FSMISP avait été mis en place en 2015, au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, dans l’idée de soutenir la liberté d’expression, il est aujourd’hui utilisé pour couper le sifflet de ceux qui ne vont pas dans le sens du gouvernement», lançait le 26 décembre le député de Haute-Vienne, Damien Maudet (LFI) en interpellant le gouvernement sur cette «possible censure de trois médias indépendants» dont «les subventions publiques ont été retirées sans raison apparente, sauf celle de ne pas soutenir la politique gouvernementale». Les médias concernés, eux, suspectent une ingérence du ministère de l’Intérieur visant les collectifs jugés trop engagés ou militants. «On a eu un premier signal, l’année dernière, quand nos trois versements du FSMISP ont été retardés par la préfecture de région», rappelle Michel Lulek, directeur de la publication d’IPNS. Il explique que, cette année, les trois dossiers auraient été interceptés avant même d’être présentés en commission consultative. «Tout se fait de façon opaque. Ce traitement différencié nous donnait de quoi aller en justice et on pense qu’avoir communiqué dessus a permis un retournement de situation», interprète Franck Dessomme, administrateur de Télé Millevaches. Contactés à ce sujet, les ministères de la Culture – qui gère le fonds – et de l’Intérieur n’ont pas répondu aux sollicitations de Libération.

L’épisode, assure les représentants des médias, est loin d’être un cas isolé. Il y a deux ans, rappellent les bénévoles de la Trousse corrézienne, une autre demande de financement adressée par le média au ministère de l’Education nationale et de la Jeunesse avait été écartée avant même le passage en commission. «La justification transmise dans le dossier tenait en trois mots : “cause refus préfecture”. Cela nous a paru étrange qu’un avis externe intervienne dans la décision. Au même moment, plusieurs assos corréziennes ont commencé à s’inquiéter d’avoir été placées sur une liste rouge par la préfecture», rapporte Marie, l’une des bénévoles, qui évoque «une mesure implicite et inavouée pour cibler celles qui dérangeaient en leur coupant les aides». Contactée, la préfecture de Corrèze n’a pas répondu aux questions de Libération sur l’existence d’une «liste rouge», tout en affirmant qu’une «décision d’attribution du financement ou son refus relève du pouvoir discrétionnaire de l’administration concernée». Même réponse de la préfecture de la Creuse qui précise que les subventions reposent sur «plusieurs critères» et sont «fonction du budget global prévu» ou encore de «priorités choisies» et dément l’existence de telles listes.


«Un climat de suspicion»

Au-delà du cas des trois médias, des acteurs associatifs du territoire dénoncent «un climat de suspicion» dont ils seraient aussi victimes. Prendre position sur des sujets controversés tels que la gestion des forêts, le retour du loup, l’accueil de réfugiés ou, plus récemment, le mouvement les Soulèvements de la Terre, suffirait, selon eux, à attiser la méfiance. «On peut très rapidement être catalogué comme ayant des relations douteuses. Il y a une lecture paranoïaque de la réalité par l’Etat, qui est dans une chasse à ce qu’il appelle l’ultragauche», commente Michel Lulek d’IPNS.

Le travail de l’Observatoire des libertés associatives, qui documente ces atteintes à travers le pays, corrobore les préoccupations exprimées en Limousin. «Il y a eu un tournant important avec la loi séparatisme de 2021. Elle a étendu les motifs de dissolutions d’associations et institué le Contrat d’engagement républicain qui peut être utilisé pour refuser une subvention. Même si, dans la plupart des cas, les coupes sont justifiées par un manque de moyens», appuie Julien Talpin, chercheur au CNRS et membre fondateur de cet organisme fondé en 2019. Un «ciblage des associations environnementales paraît clair depuis un an et demi», ajoute-t-il. Certains territoires seraient aussi «surveillés» : la Nouvelle-Aquitaine depuis les mobilisations contre les mégabassines, et «par ricochet» le plateau de Millevaches en Limousin. «Depuis l’affaire Tarnac [le sabotage de lignes TGV attribué à l’ultragauche dont le procès en 2018 a conduit à la relaxe quasi-générale, ndlr], il est considéré en haut lieu comme une base arrière de mouvements de lutte en France. Etre installé sur celui-ci est une raison de plus d’être pénalisé», considère Franck Dessomme. Le tissu associatif y est dense. La commune de Faux-la-Montagne, par exemple, compte une trentaine de structures pour 450 habitants. Mais les bénévoles – ou salariés, quand il y en a – sont usés. «Ces procédures prennent beaucoup d’énergie. Des collectifs sont en péril, insiste Marie, de la Trousse. On a un peu peur… Qui va vouloir continuer dans ces conditions ?»


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