Article écrit à partir des propos de Christine Edel, Direction de la Cohésion sociale et de la vie des quartiers à la ville de Mulhouse, recueillis lors de la table ronde "Coopérer pour innover" organisée en décembre 2020 par le RNMA dans le cadre de ses rencontres nationales sur le thème "Analyser l’impact de la crise sanitaire sur le monde associatif, les associations locales, et le métier des MDA". Consulter sur cet article les enseignements de cette table ronde
Tout d'abord quelques propos pour situer d’où je parle… Jusqu’en 2019, j’étais directrice de l’agence de la participation citoyenne de Mulhouse et depuis, j’anime et construit une nouvelle direction Cohésion Sociale et Vie des Quartiers à la ville de Mulhouse, qui gère le Carré des Assos (MDA de Mulhouse), l’agence de la participation, les services en lien avec les centres sociaux et le service politique de la ville. L’évolution a été la suivante : un regroupement de 4 services autour de l’Agence et du Carré des associations qui forment la Direction 13 et qui travaillent en lien étroit avec une seule adjointe qui a l’ensemble de ces délégations ; elle présidait depuis quelques années l’Agence de la participation et supervisait la vie associative. Aujourd’hui nous essayons de déployer une stratégie qui permette de mutualiser les approches en termes de vie associative, d’initiative citoyenne, de politique de la ville et de centres sociaux.
Agir à partir de l’existant
Partons des constats que nous avons faits pendant le confinement, notamment avec l’adjointe. Nous avons repéré que sur cette période-là il y a eu une mobilisation de nombreuses forces bénévoles qui étaient certainement liées au fait que beaucoup de personnes étaient soit en télétravail, soit sans activité chez elles. Cela a permis de développer des projets citoyens ou associatifs assez puissants, par exemple sur la mise en place et l’amorçage d’un filière textile qui a commencé à fabriquer des masques et perdure aujourd’hui sur d’autres activités, la mobilisation de petites structures qui ont fabriqué par exemple des visières, des groupes d’habitants qui se sont organisés très rapidement pour faire face collectivement. Nous étions dans l’œil du cyclone, ce qui a d’autant plus mobilisé les énergies. De notre côté, nous avons essayé d’accompagner du mieux qu’on pouvait pour permettre à ces initiatives de prendre de l’ampleur. Comme l’agence de la participation est un outil plus souple qu’une grosse collectivité pour décider rapidement, c’est à travers elle que nous avons accompagné financièrement et aidé la montée en puissance de ce type de projets. Notre premier constat a donc été d’observer que quand on arrive à capter des compétences intéressantes sur un territoire pour permettre à des projets de monter d’un cran, cela produit des choses assez intéressantes.
Au début du confinement, nous avons fait ce deuxième constat : nous avions la chance sur notre territoire d’avoir un maillage assez important avec les Centres Sociaux, qui sont fortement financés par la collectivité en plus de la CAF bien sûr, et nous avions donc une certaine légitimité à les interpeller assez rapidement. Pendant le confinement nous avons alors proposé aux Centres sociaux d’avoir une réunion en visio hebdomadaire pour faire le point sur la situation dans les quartiers et les difficultés repérées, puisqu’ils sont au plus près du terrain. Ceci était également en lien avec le service de l’action sociale pour faire circuler l’information au mieux. Rapidement nous avons mis en place un vadémécum avec toutes les informations sur qui fait quoi avec les personnes en difficultés et une plateforme d’interrelation pour ceux qui veulent donner des coups de main aux personnes en difficultés.
La montée en puissance des actions
Lors des visios avec les centres sociaux, nous étions au démarrage dans des échanges un peu « guindés », sur la réserve. Il s’agissait d’une « première » de réunir l’ensemble des directions autour de la table sans forcément l’intermédiaire de l’union départementale des centres sociaux, et ce sans préparer en amont les échanges. Au bout de 2 ou 3 visios, les échanges sont devenus beaucoup plus spontanés, les discussions plus fluides. On identifiait une difficulté, on s’interrogeait ensemble sur ce qu’on pouvait mettre en place. Au bout de quelques semaines, l’Etat et la CAF ont demandé à nous rejoindre car les informations circulaient bien. Cela a permis de mettre en place des échanges et de la mutualisation : par exemple un centre social avait fait un livret pour les personnes âgées, distribué dans les boîtes aux lettres, le support a été partagé avec d’autres pour que tout le monde ne refasse pas forcément la même chose.
A la sortie du confinement la tendance dans le groupe était de se dire qu’on n’avait plus forcément besoin de se réunir, mais l’adjointe a proposé son maintien ; on a finalement gardé le RDV avec une fréquence d’une fois toutes les 2 semaines, en se disant que s’il n’y avait pas de sujet à évoquer, ce n’était pas grave, on pouvait arrêter au bout de 20 minutes. L’important était de garder cette dynamique. Aujourd’hui, c’est grâce à cet espace que nous avons réussi à monter ensemble des réponses pour organiser des « colo » apprenantes, des programmes partagés par quartier sur les programmes d’été en lien avec les services de la ville et d’autres associations mobilisées via l’appel à projets Politique de la ville. Entre temps, nous avons initié un plan projet pour co-construire certains axes des projets sociaux des CS, en cours de définition pour conventionner avec la CAF, en essayant d’y entrainer d’autres adjoints thématiques de la collectivité. Nous avons organisé un séminaire de travail entre équipes de la collectivité et équipes des CS pour travailler sur 4 axes thématiques et voir comment construire des réponses collectives en mutualisant les approches et les moyens sur le territoire.
De cette expérience, nous retenons qu’il est nécessaire de s’organiser, de se donner un cadre de travail qui permette éventuellement de faire perdurer ce mode de collaboration dans la durée. C’est bien sûr plus facile avec une adjointe qui porte très fortement cet objectif là et qui est présente à nos côtés lors de ces visios. Tout ceci vient illustrer le fait que la situation de crise permet d’innover dans les pratiques parce qu’on est tous ensemble au pied du mur.
Cultiver une approche systémique de la coopération
Pour aller plus loin sur la transformation des pratiques à Mulhouse, nous ne sommes pas partis de rien quand la crise est arrivée. Cela faisait déjà un mandat qu’à travers la mise en place de l’Agence de la participation, nous avions « labouré le terrain » sur tout un tas de questions : comment permettre l’émergence dans les territoires des initiatives citoyennes et mieux les accompagner ? Comment les connecter éventuellement avec le développement de l’initiative associative ? Comment s’organiser sur notre territoire pour essayer de conjuguer nos forces avec des partenaires différents ? Comment peut-on avoir un écosystème mieux connecté et intégré pour permettre à des projets citoyens et associatifs de venir alimenter nos politiques publiques ? Nous avions travaillé avec la Fondation de France, Alsace active, les structures d’accompagnement vers l’entrepreneuriat, car si nous voulions développer une culture de l’entrepreneuriat sur notre territoire et dans nos nombreux quartiers politiques de la ville, il fallait saisir la balle au bond dès l’émergence d’initiatives citoyennes pour les amener vers des projets plus collectifs qui peuvent demain être des projets associatifs ou d’entrepreneuriat.
Il y a également une réflexion en interne de la collectivité pour organiser de manière un peu systématique une organisation en mode projet et en mode transversal sur des piliers du projet du mandat. Cela concerne le renouvellement urbain, la nature en ville, la transformation du centre-ville, l’ambition de la « ville du quart d’heure », concept initié par Carlos Moreno… des projets qui sont plutôt des projets urbains mais avec la volonté d’inclure dans ces démarches à chaque fois la question de la participation des habitants à travers des initiatives citoyennes, associatives et d’acteurs privés. Nous expérimentons également cette démarche pour un projet financé par l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine sur le quartier Briand. Nous construisons une espèce de partenariat Public Privé via une convention de consortium avec la couveuse TUBA et Alsace Active qui accompagnent des porteurs de projet pour nourrir le projet de transformation d’un quartier. Nous passerons en délibération en décembre au conseil municipal la convention de consortium qui va formaliser ce partenariat sur lequel va reposer le déploiement du projet et notamment ses éléments d’innovation et d’inclusion sociale à travers la concrétisation des projets des porteurs qui vont être accueillis dans un certain nombre de locaux aujourd’hui en rénovation. Cette approche pluri partenariale et collaborative, dans l’innovation, constitue aujourd’hui une approche qui irrigue la collectivité.
Enfin je me dois d’aborder un élément qui me semble important dans l’accompagnement de ce type d’objectif et de démarche : la question de la formation et de l’accompagnement des équipes à la transformation vers ce type de pratique. A titre d’illustration nous avions initié en 2018 avec une structure alsacienne la mise en place d’un groupe apprenant inter institution sur notre territoire, pendant 18 mois, composé d’agents de l’agence de la participation, de deux ou trois services de la collectivité, de 3 centres sociaux et d’une structure qui gère un CHRS. L’idée était de se dire : « si on veut que nos équipes collaborent d’avantage sur le territoire et notamment quartier par quartier, c’est important qu’ils se connaissent mieux, qu’ils aient une culture partagée, qu’ils expérimentent ensemble des actions d’accompagnement à des démarches collectives, à de la concertation citoyenne »… Comment ensemble pouvons-nous apprendre les uns des autres pour développer du projet collectif sur notre territoire ?
Mulhouse est à 40% en quartier prioritaire Politique de la ville, 30 à 40% des habitant vivent sous le seuil de pauvreté, tout cela nous oblige. Notre conviction est qu’aujourd’hui sur des territoires comme les nôtres, tout seul, que ce soit collectivité ou association chacun dans son coin, on ne va pas y arriver. Si on veut monter d’un cran et apporter des réponses plus pertinentes sur les sujets qui nous concernent aujourd’hui, il faut qu’on conjugue nos énergies et nos moyens. Nous nous sommes rendus compte à la fin du confinement que quand les personnes engagées sur les projets solidaires sont reparties au travail, ce n’était plus si simple de mobiliser dans la durée leurs compétences pour permettre à des projets de se muscler et de prendre de l’ampleur. Nous regardons comment nous pouvons aller chercher du mécénat de compétences dans des entreprises qui ont signé un pacte en faveur des quartiers prioritaires.
A Mulhouse nous sommes très pragmatiques : quand on a une idée on se lance et on voit ce que ça donne. Nous avions tendance à ne pas prendre beaucoup de temps pour débriefer, capitaliser, se poser... Nous avions pris une résolution avec l’adjointe en ce début de mandat : prendre le temps nécessaire pour retravailler à tête reposée la question qu’on évoquait tout à l’heure de la gouvernance, des modes d’organisation, des cadres qu’on peut définir ensemble, entre services et avec les élus, demain et déjà un peu aujourd’hui avec des partenaires du territoire, ceux déjà cités et encore d’autres demain.